L'histoire commence en mai 74. Eric Silvestre rentre d'Afrique avec la ferme intention d'acheter une maison en Provence et de monter une menuiserie. Il arrive par hasard dans le mariage de Gilles et Sergine Scalabre qui ont dans l'idée de quitter Paris et de migrer vers le Sud. Il n'en fallait pas plus pour que les choses se réalisent et les voilà partis vers le Sud pour acheter une maison et monter une menuiserie. Ils s'installent d'abord à Vienne, le temps de démarrer la menuiserie et de chercher la bonne maison, ce qui finit par arriver, grâce à un tuyau reçu de Claire Forestier, qui était installée à Banon depuis quelques années.
La maison, longtemps invendable parce que cédée par sa propriétaire à une association, venait de l'être, fut acquise en quelques semaines et les trois protagonistes s'installèrent dans ses murs le week-end du 14 juillet 1975, avec Grégoire, le fils de Gilles et Sergine, né à Vienne 10 mois plus tôt. Les gendarmes de Banon, qui attendaient d'éventuels nouveaux squatters, après avoir échoué dans leur grosse opération d'interception des précédents, les interpellèrent en pleine nuit ! Manque de pot, les nouveaux venus étaient en possession d'un compromis de vente !
Il s'agissait de deux corps de bâtiment de quatre niveaux chacun, avec une quarantaine de pièces et un petit jardin de curé entre les deux maisons. Splendide, certes, mais une histoire de fous au vu des moyens dont dfisposaient les trois protagonistes. Il fallait une fortuner pour restaurer tout cela. La toiture de l'hôtel-Dieu était en place mais à refaire, percée en de nombreux endroits, la faîtière cassée, soutenue par un poteau, certaines dalles étaient également cassées, ou fragilisées, les sanitaires craignaient, les fenêtres étaient cassées, les meubles annoncés par la propriétaire avaient été volés, ou déposés chez les curés qui ne nous les ont jamais rendus.
Dans le jardin, la véranda construite entre les deux maisons était en partie écroulée, côté Sud, et surtout, côté Nord, masquait la porte d'entrée, dont le cadre en pierre du 16ième siècle avait été taillé lors de la construction de la véranda, et aussi une des fenêtres de la chambre du dessus.
Dans la maison de gauche, la situation était beaucoup plus grave : toiture en partie démolie, de même que les dalles en dessous, ruinées par la pluie, façade Nord et apendice partiellement écroulées, petit escalier central mignon mais qui n'entrait pas dans les plans de partage de la maison, ....
Les nouveaux propriétaires se lancèrent donc dans cette entreprise totalement surréaliste de restauration des bâtiments avec des moyen,s plus que limités, mais sans douter de leurs capacités à réaliser les travaux nécessaires, et certains de pouvoir vivre rapidement dans la maison. Il fallait refaire le toit de l'hôtel-Dieu, qui était en place mais fatigué, vitrer les fenêtres, aménager une salle de douche, deux chambres, la cuisine, mettre le chauffage dans la partie habitée. Avec les précieux renforts de main d'oeuvre fournis par des parents et amis, la première tranche de travaux fut exécutée en deux ou trois mois, juste à temps pour permettre aux propriétaires de passer l'hiver au chaud. Enfin, plus ou moins.
Dans le même temps, Gilles et Eric installaient leur menuiserie, dans la salle qui avait été, au 17ième siècle, un hôpital. Et le baptisaient d'un nom qui n'était pas sans rappeler les phrères simplistes du Grand Jeu, René Daumal, ses potes, que Michel Lancelot qui, dans son livre "Le jeune lion dort avec ses dents", leur avait fait découvrir : l'atelier du grand jeu.
L'idée des jouets en bois était née à Folainville, lors du mariage et du démarrage du projet, et les premiers jouets avaient été fabriqués dans l'atelier de Vienne, notamment le camion et la Bugati. En même temps que les travaux d'aménagement d'intérieur. Les premiers jouets toujours en bois mais cette fois à connotation éducative, nés d'une collaboration riche et fructueuse avec le docteur Janine Lévy, sortirent rapidement de l'atelier, dont une gamme de chariots de marche pour les tout-petits, poussettes, baladeur, et autres maisonnettes. Les jouets étaient finis et vendus sur les marchés ou dans les foires, notamment celle de Grenoble, Alpexpo. Grosse ambiance dans l'atelier où la température avoisinnait parfois les 10 degrés ! Il y avait certes un poêle à sciures mais digne des époques qui suivirent la dernière guerre, et qui, de fait, sautait parfois à la tête de ses maîtres ! Le sens de l'histoire nous fut précisé lors du passage de Jean Moisan, un ancien militant du PSU du début recon,verti dans l'apiculture, qui était venu confectionner des ruches dans l'atelier. Il nous expliqua clairement que notre travail, de toute évidence, et conformément à la règle, nous permettrait de bouffer, tout juste, mais que pour gagner des sous, il faudrait faire travailler des ouvriers ou vendre des idées, donc créer des modèles et trouver des marchés. Ce qui fut fait, d'une certaine manière, quand une partie des jouets était préfabriquée sur place puis vendue à des CAT (Centres d'aide par le travail) où de jeunes handicapés les montaient.
Après l'interruption des stages de l'été 1976, les activités reprirent dans l'atelier pour Gilles et Eric, lequel, fraîchement marrié, décida de partir un an en Mauritanie en février 77 pour mettre un peu d'huile dans les rouages des machines de l'atelier. Gilles transféra l'atelier au Redortier dans l'ancienne école Jules Ferry et ajouta la production de métiers à tisser. Faute d'électricité assez puissante, il dû recourir à un groupe électrogène, acheté à Toulon, et capable de délivrer 10KvA avec un réservoir de tondeuse à gazon. La suite, c'est le début de la mondialisation, des jouets en bois venus des pays de l'est à des prix improbables.... Exit l'Atelier du Grand Jeu ! Mais 35 ans après, certains jouets de leur fabrication sont encore en activité, dans les mains d'une deuxième génération d'enfants !
De 1976 à 1990
A Pâques 76, le hasard nous consuisit à Puyharas, un centre artisanal situé en bas de Banon, qui organisait depuis deux ou trois ans des stages d'été et connaissait un vil succès. Le responsable, Serge Devic, qui croulait sur les réservations, y compris en danse et photographie, nous proposa de nous associer à Puyharas et d'accueilir les stagiaires de ces deux disciplines. Il n'en fallut pas plus pour que nous abandonnions la menuiserie et que nous nous lancions dans l'aménagement d'une salle de danse, d'un labo photo, et de quatre chambres, avec une capacité à servir des petits déjeuners, les stagiaires prenant leurs repas à Puyharas.
Pendant 16 ans, de juillet 1976 à septembre 1990, les stages se déroulèrent entre juillet et septembre, avec Puyharas, puis sans, puis avec Gamma formation, pour le photojournalisme, avec de multiples formateurs et des nouvelles disciplines : vidéo, sculpture, jonglage, comédien clown, théatre, maquillage, menuiserie, danse africaine, et marionnettes géantes, avec Nadia et Jean Pierre Arlaud, six années de suite, des centaines de stagiaires, des spectacles in et hors les murs, les Fêtes du vieux village, un stage de restauration de l'habitat ancien avec un groupe constitué quasi exclusivement de femmes, le Carrefour de l'artisanat rural avec une poignée d'africains qui défrayèrent la chronique de Banon, notamment les tisserands installés sur le trottoir et la gargote de Mama Sacko sur la place du village, ...., sans oublier les stages d'hiver en bio-énergie et autres disciplines à connotation psychologique.
Voir le portail ci-dessous sur les stages
Comme dit le vieil adage : "Il faut une fin à tout".
Celle de l'épopée des années
70/80 dans l'ancien hôtel-Dieu arriva en 1990, une année qui marqua la fin de cette période un peu folle, commencée par l'installation de
Gilles, Sergine et Eric, en 1975, suivie de la première restauration de l'ancien hôtel-Dieu, du mariage d'Eric, de la création de l'Atelier du Grand Jeu (la menuiserie), des stages, des
ateliers du spectacle et de la fête, des stages de photojournalisme et des Fêtes du vieux village.
Après le départ de Gilles et Sergine et la privatisation des espaces dans les deux maisons, les arrivées et départs de nouveaux copropriétaires se succédèrent au fil des
années. Les maisons bénéficièrent de restaurations conséquentes, les salles de danse
et de musique furent rassemblées, une nouvelle petite maison fut acquise par Eric (que Grégoire reçut pour ses quinze ans), puis une autre sur la place de l'ancienne église, que notre amie Rose
Voisin habita près de vingt ans avant que Grégoire devenu grand (vieux !) ne la rachète. Le
chauffage central fut installé dans les deux maisons, l'atelier de menuiserie devenu restaurant se mua en salle de jeu, on fêta quelques beaux évènements, un mariage dans la cour, un anniversaire
avec ballade en montagne et concert de violoncel dans une bergerie, spectacles à la maison, ....
Et puis ces dix dernières années, les maisons restèrent quelque peu sans voie ni voix.
............................
Et puis Christine Lebrun, Gaby Martin, Daniel Arasse, Marc Favresse, Pierre Martel, Jean Pierre Arlaud, Hervé Dubreil, René Esmieu, Ariel Gamezon, nous ont quittés. On ne les oublie pas.
Images des stages